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lundi 3 juin 2013

Les cadres fidèles à leur boîte montent plus vite les échelons

Retranscription d'une étude : 

CHaIRE NouvELLEs CaRRIèREs RBs-RMs
CoNTaCT Jean pRaLoNG Titulaire jpr@rouenbs.fr
Chaire Nouvelles Carrières RBs-RMs 
1, rue du Maréchal Juin BP 215 76130 Mont-Saint-Aignan
Tél.:0232825700 www.rmsrbs.fr.
Conception graphique : Kmograf




Selon une image d’épinal bien ancrée, les cadres seraient une population homogène, favorisée et protégée. La réalité confirme-t-elle cet optimisme ? La situation des cadres est analysée ici grâce à un indicateur de qualité de carrière qui regroupe onze cri- tères objectifs. Les résultats montrent des différences significatives. Toutes les carrières des cadres ne se valent pas. Contrairement au stéréotype, la mobilité externe ne paye pas : les cadres les plus fidèles sont les plus récompensés par les entreprises. Trois groupes de cadres se distinguent : des femmes diplômées de niveau moyen ayant recours à la mobilité externe pour connaître des évolutions hiérarchiques faibles (qualité de carrière faible), des hommes diplômés de niveau moyen ayant recours à la mobilité externe (qualité de carrière moyenne) et, enfin, des hommes très diplômés et détenteurs de parcours intra-organi- sationnels (qualité de carrière forte). Ces trois groupes suggèrent l’existence de trois marchés du travail distincts chez les cadres.


Dans l’imaginaire collectif, les cadres sont une population à part. Hier, ils étaient les plus proches des directions et bénéficiaient d’une large part de leur prestige. Aujourd’hui, « travailleurs du savoir » typiques, les cadres seraient la ressource stratégique indispensable à une économie occidentale en voie de tertiarisation rapide. Hier, ils étaient récompensés pour leur loyauté. Aujourd’hui, ils auraient pris en mains leurs carrières et joueraient habilement de la « guerre des talents » pour se vendre au plus offrant. La promotion de cette nouvelle identité du cadre, nomade plutôt que fidèle, a bénéficié du soutien des pouvoirs publics et de la communauté académique. La création des bilans de compétences, par exemple, visait explicitement à rendre les individus acteurs de leurs « projets » et auteurs de leurs trajectoires.


A la même époque, beaucoup de chercheurs ont prophétisé la disparition des carrières intra-entreprises, l’accroissement des mobilités externes et l’apparition d’une grande diversité de nouvelles trajectoires. Une enquête menée pour la Chaire Nouvelles Carrières auprès de 1024 cadres montre que ce discours est largement partagé. Les cadres seraient épargnés par la menace de la précarité (89%). Pour 61% des sondés, leur réussite serait assurée avant tout grâce à la mobilité externe ; a contrario, les fidèles « stagneraient » (68%). Les cadres, en matière d’emploi, s’en sortiraient donc mieux (ou moins mal) que les autres. Une image optimiste, qui suggère l’existence d’une population homogène, favorisée et protégée, fait l’objet d’un consensus très large. La réalité confirme-t-elle cet optimisme ? Les trajectoires des cadres sont-elles si homogènes ? Les cadres mobiles sont-ils vraiment ceux qui réussissent le mieux ?


La situation des cadres est analysée ici grâce à un indicateur de qualité de carrière qui regroupe onze critères objectifs. La construction de cet indice est détaillée à la fin de cette note.


Le groupe des cadres est-il homogène en matière de carrière ?


Le stéréotype présente la population des cadres comme un groupe homogène. Pourtant, la qualité de carrière des cadres présente de fortes disparités. Nous avons scindé notre échantillon en quartiles et testé les différences de moyennes de qualité de carrière entre ces sous échantillons.
Les résultats permettent de distinguer trois sous-groupes à la qualité de carrière significativement différente. Les cadres du quartile supérieur (25% de l’échantillon) n’ont pratiquement jamais connu d’emploi à temps partiel, de contrats à durée déterminée ou de temps de chômage.
A l’opposé, les membres du quartile inférieur (25% de l’échantillon) ont été confrontés à ces types d’emploi « non standard » (entre 1,5 et 2,1 mois par année de vie professionnelle). Ils ont faiblement bénéficié d’augmentations (individuelles ou collectives) ou de formations. Ils ont été plus fréquemment exposés à des risques et ont même été victimes d’accidents du travail. Leur rémunération est infé- rieure de près de 20% au standard des personnes sans enfants de leur âge et de leur niveau de formation.
Ces deux populations sont extrêmes mais elles ne sont pas marginales, puisqu’elles représentent 50% de la population des cadres. Ce résultat infirme le stéréotype d’une population homogène dans ses relations à l’emploi et à la carrière. Ces différences témoignent de trajectoires différentes. Reste maintenant à identifier les variables qui en sont responsables.


La mobilité externe, une voie royale ?


Contrairement aux idées reçues, la fidélité et la carrière intra-organisationnelle « rapportent » le plus de qualité de carrière. Les scores les plus élevés appartiennent à ceux qui connaissent un parcours de progression hiérarchique dans la même entreprise. L’analyse de variance  montre que la qualité décroit lorsque de parcours s’éloignent de ce standard.
La qualité des carrières traditionnelles, intra-organisationnelles et managériales, est significativement supérieure. L’image stéréotypée du succès obtenu grâce à la mobilité externe est démentie. Ce résultat s’oppose aussi aux pronostics de certains théoriciens des carrières qui ont vanté l’efficacité de la mobilité externe.
Essai de typologie des cadres français
De façon stylisée, il est possible d’opposer, dans un ordre de qualité de carrière croissant, des femmes diplômées de niveau moyen ayant aussi recours à la mobilité externe pour connaître des évolutions hiérarchiques faibles (type A), des hommes diplômés de niveau moyen ayant recours à la mobilité externe (type B) et, enfin, des hommes très diplômés et détenteurs de parcours traditionnels (type C). Si la qualité des carrières des cadres est fortement hétérogène, les déterminants de ces différences sont d’un grand classicisme : le sexe, le capital humain ou le type de carrière déterminent significativement des carrières de qualité.

Il existe un groupe de cadres de sexe masculin très diplômés (type C), détenant des parcours traditionnels, accumulant du capital humain spécifique, et obtenant des carrières de qualité élevée grâce à la mobilité interne. Ils cumulent les gains.
 A l’opposé, une population plutôt féminine, moins diplômée, accumulant moins de capital humain spécifique, connaît des trajectoires plus inter-organisationnelles et, au final, détient des carrières de moindre qualité : c’est le type A. Cette dernière famille de cadres cumule les handicaps.
Entre ces deux extrêmes, une population d’hommes de niveaux de formation moyens a re- cours à la mobilité externe et connaît des carrières de qualité moyenne (type B). 
Diversification des trajectoires et hétérogénéité des qualités de carrière semblent s’expliquer par la rémanence, voire l’accentuation, de processus de sélection bien connus qui opèrent un filtrage progressif parmi les individus. Le sexe, le diplôme puis les débuts de carrière se cumulent progressivement pour sélectionner les cadres et produire de parcours différents qui sont, au final, de qualités inégales. Être une femme, détenir un diplôme de niveau moyen ou avoir commencé sa carrière par des mobilités externes fréquentes sont des signaux qui stigmatisent leurs porteurs. Les phénomènes de « plafond de verre » qui limitent la carrière des femmes se trouvent à nouveau illustrés ici.


Des carrières différentes, des marchés du travail différents ?


L’examen des trajectoires des cadres au prisme de la qualité de carrière montre une réalité très éloignée du stéréotype. La population des cadres n’est pas homogène : elle est manifestement faite de sous-groupes dont les destinées sont radicalement différentes, dont certaines voisinent avec des formes de précarité. 
Enfin, contrairement au discours régulièrement rappe- lé, les cadres gagnent à passer par la mobilité interne. Les carrières marquées par des mobilités externes sont de moindre « qualité » que les carrières traditionnelles.Ces résultats suggèrent une segmentation du marché des cadres. La population des cadres serait faite, en réalité, de sous-groupes étanches : la puissance des déterminants de la qualité et celle de leurs interactions, qui se cumulent, font que les individus n’ont des probabilités que faibles de passer d’un groupe à l’autre. On pourrait suspecter que ces dif- férents groupes relèvent de marchés différents. 
Les individus les plus favorisés (type C) opèrent sur des marchés internes ; ils bénéficient de processus de fidélisation comme les universités d’entreprise ou les parcours « hauts potentiels ».
La loyauté réciproque est la clé de ce marché. Les autres (A et B) sont confrontés à la concur- rence des marchés externes où ils subissent plus de discriminations liées au genre ou au diplôme. Les cadres du groupe B ont démontré une loyauté relative puisqu’ils ont joué la carte de la mobilité externe. Ce n’est sans doute pas très pénalisant en début de parcours, mais il est probable que des changements trop fréquents soient stigmatisants. Ils peuvent être interprétés comme des indices d’une loyauté moindre. Ces cadres « mercenaires » seraient recrutés pour leurs compétences au regard d’un poste à court terme plutôt que pour une carrière à plus long terme. Les cadres du groupe A, plutôt des experts que des managers, subiraient cette situation de façon encore plus violente. Le recours à des cadres experts est souvent lié à des projets éphémères. Il s’accompagnerait plus souvent de contrats précaires. L’échange entre ces cadres et les entreprises serait un marché de compétences court-termiste.
Le scénario d’une segmentation des carrières des cadres, incluant la carrière traditionnelle comme la modalité la plus souhaitable, est en contradiction avec les approches “post-mo- dernes” qui dominent les études sur les trajectoires. Ces travaux ont prédit la généralisation du modèle du cadre « nomade » inventant son parcours au gré de ses besoins et négociant, pour cela, des accords « gagnant-gagnant » éphémères avec des employeurs. Pourtant, tout se passe comme si les cadres les moins « nomades », qui ont recours à la mobilité interne, cumulaient les gains. Ce constat rappelle l’influence déterminante des politiques de gestion sur les destinées individuelles. Or l’indicateur de « qualité de carrière » pourrait avoir une utilité pour orienter ces pratiques. 
D’une part, il permettrait l’évaluation et la comparaison des trajectoires dans les entreprises ; il permettrait d’identifier des groupes en situation de retard et qui pourraient être destinataires de pratiques de remédiation. D’autre part, les dimensions de l’indicateur constituent autant d’axes de travail pour des actions de prévention des inégalités.

MÉTHODOLOGIE


sondage

Sondage par questionnaire en ligne réalisé en mars et avril 2013. 1024 répondants représentatifs de la population des « cadres et professions intellectuelles supérieures » au sens de l’INSEE.


Qualité de carrière

Données recueillies par questionnaire en ligne en janvier 2012 auprès de 978 répondants (« cadres et professions intellectuelles supérieures »). L’échantillon comprend 47,3% de femmes. L’âge moyen est de 41 ans. Les âges des hommes et des femmes ne sont pas signifi- cativementdifférents.L’indicateur de qualité de carrière prend en compte quatre dimensions : la sécurité socio-économique, les qualifications et la formation, les conditions de travail ainsi que l’égalité hommes-femmes et la capacité à concilier travail et vie de famille. Les mesures utilisées et validées sont présentées dans le tableau 3 suivant.


A PROPOS DE LA CHAIRE NOUVELLES CARRERES DE RBS-RMS


La chaire Nouvelles Carrières a été lancée officiellement en avril 2011, grâce au soutien des entreprises Air France et Matmut. Cette chaire a pour objectif d’explorer les mutations qui affectent les carrières et l'emploi en France, en Europe et dans le monde.La réflexion sur les carrières, leurs règles et leurs évolutions, engagent fortement les entreprises et les écoles de management.Après plusieurs années d'une économie marquée par l'incertitude, les relations entre les salariés et les entreprises se sont profondément modifiées. Les entreprises recherchent simultanément flexibilité et fidélisation : elles cherchent à développer leur agilité mais aussi à conserver leurs « talents ». Ces objectifs contradictoires brouillent le lien entre salariés et organisations. La car- rière est pourtant l'outil stratégique qui doit relier les compétences, la satisfaction et l'engage- ment des individus avec les performances et le potentiel d'innovation des organisations. Les étudiants, eux, attendent de leur formation et de leur école qu’ils les préparent aux « nouvelles carrières » qui apparaissent et dont les règles leur semblent confuses.Le projet scientifique de la chaire prévoit donc d'explorer les comportements, les attentes et les besoins des individus envers l'emploi et les carrières. Il prévoit aussi d'évaluer les pratiques de gestion des carrières des entreprises.La chaire n’a pas que des objectifs de recherche. Elle se donne aussi des objectifs en direction des praticiens, du grand public et des étudiants. D’une part, elle cherche à participer au débat public et au renouveau des pratiques gestionnaires en diffusant aussi largement que possible les connaissances qu’elle développe. C'est la raison d'être de « R.H Insighs ». D’autre part, elle contribue à la formation des étudiants, futurs praticiens mais aussi futurs acteurs des carrières.Les travaux de la chaire sont naturellement en lien avec les enjeux des entreprises partenaires.


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